Le silence est imposé, mais le témoignage demeure essentiel. Depuis août 2021, la situation des femmes journalistes en Afghanistan s’est considérablement détériorée (Photo: Keystone-SDA). Plus de quatre femmes journalistes sur cinq ont perdu leur emploi. Sur les 12000 journalistes que comptait le pays, plus des deux tiers ont déserté la profession. Un véritable désert médiatique pour les femmes s’est donc imposé ces dernières trois années et demie dans le pays. Face à cette réalité, Najibah Zartosht, journaliste exilée en Suisse depuis la prise de pouvoir des talibans, a décidé de résister à travers son média Afghanistan Women’s Voice.
«Avant la prise de pouvoir des talibans, les femmes afghanes avaient accompli des progrès remarquables dans tous les domaines, et particulièrement dans le journalisme. Présentes à la télévision, à la radio et dans la presse écrite, elles occupaient une place essentielle dans le paysage médiatique», note la journaliste. Malgré des défis persistants, elles exerçaient leur métier avec une certaine liberté. «J’étais libre», confie-t-elle avec une pointe de nostalgie. ‘Nous étions soumises à certaines restrictions, mais nous pouvions toujours écrire.»
« Depuis l’arrivée des Talibans au pouvoir en août 2021, la situation s’est considérablement détériorée pour les femmes et en particulier pour les femmes journalistes. Écartées des médias, réduites au silence ou forcées à l’exil, elles ont vu leur profession devenir quasiment inaccessible.» Les femmes journalistes ne peuvent plus travailler dans les médias publics ni apparaître à la télévision sans avoir le visage couvert. Il leur est interdit de travailler avec des hommes et d’interviewer ou d’être interviewées par des hommes. Les appels d’auditrices sont même interdits dans la province du Khost. Les restrictions imposées aux médias afghans ciblent spécifiquement les femmes.
Harcèlement, torture et danger de mort
En Afghanistan, enquêter sur les questions de genre relève désormais de l’impossible. À Kaboul, les rares femmes journalistes encore en poste exercent souvent sans rémunération et subissent des formes de harcèlement, tandis que celles qui tentent de travailler de manière indépendante s’exposent à des risques de torture ou même de mort. Sous la pression constante du régime, les derniers bastions médiatiques féminins peinent à survivre. C’est le cas de Radio Begum, une radio éducative pour les femmes, qui, malgré sa volonté de se conformer aux restrictions, a été temporairement suspendue en début d’année, avec l’arrestation de plusieurs membres de son équipe. Face à cette réalité, Najibah Zartosht est catégorique : « Le journalisme devient presque impossible pour les femmes sous les politiques restrictives des talibans. C’est la situation à laquelle les femmes journalistes sont confrontées aujourd’hui en Afghanistan. »
Avant son exil, Najibah Zartosht menait de front son travail d’enseignante en économie à l’Université et son métier de journaliste, où elle s’impliquait activement, notamment sur les questions liées aux droits des femmes. Engagée dans la presse écrite, elle consacrait une grande partie de ses articles à ces thématiques essentielles.
Son engagement passé contre les talibans avant leur retour au pouvoir en 2021 l’a immédiatement mise en danger. Rester en Afghanistan était impensable. « Dès que les talibans sont arrivés au pouvoir, nous savions qu’il nous était impossible de rester dans le pays, car nous faisions campagne contre eux avant même leur retour », explique-t-elle. Comme de nombreuses journalistes, elle a dû fuir précipitamment, trouvant refuge au Pakistan avant de pouvoir rejoindre la Suisse grâce au soutien d’un ami et du Swiss German PEN Center, la section suisse de l’association internationale des écrivains PEN Center.
Najibah Zartosht a refusé de rester les bras croisé
Une fois loin de son pays, Najibah Zartosht a ressenti un profond sentiment d’impuissance face à la situation des femmes restées en Afghanistan. Ne pas agir lui était inconcevable. Avec des amis, elle décide alors de créer Afghanistan Women’s Voice, un média en ligne offrant un espace d’expression libre aux Afghanes. « Peu après mon arrivée au Pakistan, je me sentais très mal à cause de ce qui se passait, surtout pour les femmes. Nous ne pouvions pas rester silencieuses. Nous avons alors pensé à créer un blog où celles qui ressentaient la même chose que nous pourraient écrire sur leurs expériences, leurs histoires et la façon dont les talibans ont affecté leur vie », raconte-t-elle.
En exil, elle fait face à de nombreux défis, à commencer par l’accès aux informations en Afghanistan. Chaque publication représente un risque non seulement pour elle, mais aussi pour sa famille restée sur place. « Quoi que je fasse, je dois prendre en considération ma famille là-bas, car ce que je fais ici représente un grand risque pour eux. Nous travaillons très prudemment », confie-t-elle. Sur le terrain, ses collègues journalistes font également face à des dangers considérables pour rapporter la vérité. Ainsi, Najibah leur demande d’effacer toute trace de communication avec son média. Les articles sont publiés anonymement, et le site est constamment renforcé sur le plan technique. Une nécessité, car « Lorsque j’étais au Pakistan, le site web a été piraté, ce qui, je crois, a été fait par les Talibans », ajoute-t-elle.
«N’oubliez pas les femmes afghanes»
Najibah Zartosht appelle la communauté internationale à ne pas détourner le regard face à la situation des femmes afghanes. Elle insiste sur l’importance de soutenir les journalistes en danger en leur offrant des opportunités, notamment d’emploi, à l’étranger. « Ce qui se passe est un crime. N’oubliez pas les femmes afghanes, elles sont abandonnées par le monde », alerte-t-elle.
En 2024, l’Afghanistan se situait parmi les pires régimes pour la liberté de la presse, occupant le 178e rang sur 180 pays au Classement mondial publié chaque année par RSF, perdant encore 26 places par rapport à l’année précédente. Face au désastre qui a suivi l’arrivée des talibans au pouvoir, notre organisation promeut le soutien des journalistes et médias afghans en exil notamment à travers le JXFund – European Fund for journalism in exile, et interpelle la communauté internationale sur les multiples mesures répressives qui frappent les médias en Afghanistan.