A quelques jours de la publication du Classement mondial de la liberté de la presse 2025 par Reporters Sans Frontières (RSF), ce vendredi 2 mai, nous tournons notre regard vers les pays qui obtiennent depuis des années des résultats supérieurs à la moyenne en matière de liberté de la presse, comme la Suède. Au cours des huit dernières années, ce pays scandinave s’est toujours classé deuxième, troisième ou quatrième dans ce classement. Dans un contexte mondial où la liberté de la presse est tendue depuis des années, et à l’approche de la publication du nouveau classement, il est essentiel de comprendre les raisons pour lesquelles la Suède obtient toujours d’aussi bons résultats. Elle témoigne en effet d’un engagement particulier envers l’indépendance des médias. Cette position enviable s’inscrit dans un contexte où la liberté de la presse est fondamentale pour la démocratie. Nous avons interrogé Bruno Kaufmann, journaliste suisse et correspondant pour l’Europe du Nord de la chaîne de télévision suisse alémanique SRF, qui vit en Suède depuis de nombreuses années. 

Bruno Kaufmann attribue la bonne place de la Suède « à une très longue tradition de liberté de presse et d’opinion en Suède». Il explique d’ailleurs que « la Constitution et la législation protègent ces droits fondamentaux ». Il souligne en particulier que les professionnels des médias sont «conscients de ce cadre, le revendiquent et le respectent ». D’autres facteurs contribuent également à cette situation globalement favorable, comme un « fort service public audiovisuel ainsi qu’un soutien ciblé envers les médias démocratiques ».

Les bases légales ont été posées dès le 18e siècle

En 1766, la Suède devenait le premier pays du monde à adopter une loi sur la liberté de la presse. Cette tradition historique a encore aujourd’hui un impact durable sur les mentalités et les pratiques journalistiques. Les médias suédois sont indépendants du pouvoir politique : leurs propriétaires ne subissent pas d’ingérences des pouvoirs exécutif et législatif et, aucun politicien en fonction ne peut siéger au sein d’un conseil d’administration d’un média public ou d’une autorité de surveillance des médias.

Le cadre légal suédois protège également la liberté de la presse. Les médias publics sont régulés par une commission de l’audiovisuel indépendante qui fait partie de l’Autorité suédoise de la presse et de l’audiovisuel. Un médiateur indépendant est chargé de traiter les plaintes relatives à l’éthique journalistique. La protection juridique des sources journalistiques est garantie et le principe d’accès à l’information publique est un pilier de la démocratie suédoise. En bref, la libre circulation de l’information est un droit fondamental en Suède. Bruno Kaufmann souligne également que « les professionnels des médias jouissent de droits particuliers, par exemple en matière d’accès à l’information ». 

Les menaces et les insultes à l’encontre des médias sont mal perçues

Concrètement, cette troisième place au Classement mondial signifie pour les journalistes suédois qu’ils peuvent exercer leur métier au quotidien avec davantage de libertés que dans d’autres pays. Pour beaucoup de collègues de Bruno Kaufmann, cela va de soi. Ils ne sont soumis à aucune restriction majeure et ne risquent ni corruption ni licenciement pour leurs opinions. « Cette liberté nécessite toutefois une vigilance constante au vu des développements actuels », estime Bruno Kaufmann. En effet, les restrictions et les agressions à l’encontre des professionnels des médias provoquent un vif émoi, de grandes protestations et exercent une forte pression politique. Il cite notamment le cas de Joakim Medin, emprisonné depuis fin mars en Turquie pour l’exercice de sa profession. En Suède même, les agressions contre les professionnels des médias sont rares. « Les menaces et les insultes à l’encontre des professionnels des médias, par exemple de la part du chef du parti nationaliste de droite Démocrates suédois, sont toujours très mal perçues », explique Bruno Kaufmann.

Un financement stable malgré la concentration croissante des médias

Le financement des médias en Suède prévoit un rôle de l’État dans le soutien aux médias. Le système public de soutien aux médias, qui fête cette année son 60e anniversaire, se concentre, selon Bruno Kaufmann, à la fois «sur le soutien au journalisme professionnel et sur la distribution des contenus journalistiques.» Dans de nombreux endroits, cette aide a longtemps contribué financièrement au maintien de plus de deux journaux dans la même commune, dans le but clair de garantir la diversité des médias au niveau local. Désormais, les subventions publiques sont également accordées sans discrimination aux journaux aux opinions politiques parfois radicales, ce qui est parfois critiqué. Les débats sur le contenu et le financement des médias publics sont particulièrement alimentés par un rapport parlementaire de 2024 et la volonté du parti national-conservateur Sverigedemokraterna (Démocrates suédois) de les contrôler davantage. Bruno Kaufmann précise que la distribution est actuellement faite par une « autorité étatique indépendante ». 

Malgré un financement globalement stable, on observe une concentration croissante des groupes médiatiques : la grande majorité des journaux suédois (Dagens Nyheter, Aftonbladet, TV4…) appartiennent à une poignée de grands groupes médiatiques. Dans le domaine audiovisuel, la concentration est encore plus marquée. Le journaliste suisse Bruno Kaufmann souligne que le paysage médiatique suédois est dominé par de grands groupes médiatiques tels que « Bonnier ». « Il existe donc aussi des incertitudes dans le plus grand pays nordique. » 

Il souligne toutefois que les entreprises médiatiques suédoises ont réussi très tôt à passer du « modèle du journal papier au modèle en ligne » et à faire payer les utilisateurs pour les contenus journalistiques. « Aujourd’hui, ce sont principalement les utilisateurs eux-mêmes qui assurent le financement de base grâce à des abonnements numériques. » Auparavant, selon Bruno Kaufmann, les recettes publicitaires dominaient encore.

Interrogé sur ce que la Suisse pourrait tirer des enseignements du modèle suédois en matière de tradition et d’ancrage de la liberté de la presse depuis 1766, Bruno Kaufmann cite trois éléments. Parmi les éléments que la Suisse pourrait adopter du modèle suédois, Bruno Kaufmann cite trois éléments.  « La forte protection de la liberté des médias, le cofinancement public des infrastructures médiatiques et une utilisation intensive des médias dans l’enseignement de la démocratie à l’école ».

Sophie Sager, RSF Suisse

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