Depuis trois ans, un règlement sur le contrôle des messageries fait l’objet d’un débat animé au sein de l’UE. Selon ses partisans, cette loi vise à lutter contre la diffusion d’images représentant des violences sexuelles sur des enfants. Dans le même temps, un tel règlement mettrait fin au chiffrement de bout en bout utilisé par de nombreux fournisseurs de services de messagerie et de communication. Cela aurait de graves conséquences pour la protection des données et la liberté de la presse en Europe. Et cela concernerait probablement aussi la Suisse.
Le règlement européen visant à lutter contre la diffusion d’images pédopornographiques fait depuis longtemps l’objet de controverses. Aujourd’hui, le Danemark, qui assure la présidence du Conseil de l’UE de juillet à décembre 2025, a remis ce sujet à l’ordre du jour. Et l’Allemagne, un pays important de l’UE, souhaite décider cette semaine s’il approuve ou non cette proposition.
Le projet de loi prévoit que les messageries instantanées telles que WhatsApp, Signal, Telegram ou encore le fournisseur suisse Threema soient tenues de scanner automatiquement tous les contenus, avant même qu’ils ne soient cryptés, sans aucun soupçon. Pour ce faire, elles devraient intégrer leur propre logiciel de scan dans leurs applications. C’est pourquoi le projet de loi parle également de contrôle des messageries. Le Conseil de l’UE doit encore se prononcer sur cette question, mais après de nombreux ajustements et discussions, seuls quelques pays s’opposent encore clairement au projet. Les autres pays soutiennent la proposition du Danemark ou en discutent encore. Si l’Allemagne approuvait maintenant le règlement, cela aurait un effet signal pour le reste du continent et pourrait ouvrir la voie à cette loi controversée.
« La proposition de la présidence danoise du Conseil européen visant à surveiller sans motif toutes les communications privées aurait de graves conséquences pour la liberté de la presse. Cela compromettrait le chiffrement de bout en bout des communications et porterait ainsi atteinte à la protection des sources. Les informateurs et les lanceurs d’alerte ne pourraient alors plus être sûrs que leurs informations sont protégées et préféreraient, dans le doute, garder le silence. Nous appelons le gouvernement fédéral à rejeter cette proposition et à s’engager en faveur de la sécurité et de la confidentialité des communications numériques. »
Anja Osterhaus
Directrice générale de Reporters sans frontières Allemagne
Inefficace, disproportionné et contraire aux droits fondamentaux
Le contrôle des messageries constituerait une atteinte massive à la vie privée et à la sécurité numérique de tous. Le projet actuel du Conseil danois menace la sécurité et le cryptage des communications dans leur ensemble. De nombreux avis et déclarations d’experts ont conclu que les mesures proposées ne permettraient pas d’atteindre leur objectif – endiguer la diffusion de matériel pédopornographique – de manière efficace et proportionnée. En revanche, des organisations de la société civile, des scientifiques et des experts de toute l’UE, parmi eux aussi des chercheurs de l’EPFL à Lausanne, ainsi que des avis des services scientifiques du Bundestag allemand, du Parlement européen et du Conseil de l’UE, soulignent que ces mesures sont incompatibles avec les droits fondamentaux garantis.
Un précédent dangereux qui aura également des conséquences pour la Suisse
En septembre 2024, le Conseil fédéral s’est certes prononcé contre l’introduction éventuelle d’un contrôle similaire des messageries en Suisse. Néanmoins, une telle loi européenne aurait des répercussions directes sur la Suisse. « Les services suisses proposant leurs prestations dans l’UE ainsi que les internautes en Suisse (pourraient) être concernés par les mesures prévues (…) », écrivaitalors le gouvernementdansunrapport. Les discussions au sein de l’UE ne permettaient toutefois pas encore d’évaluer de manière définitive les répercussions exactes.
« La CEDH et la Constitution fédérale garantissent le droit à la protection de la vie privée. La lutte contre la criminalité telle que prévue par le règlement sur le contrôle des messageries au niveau européen serait clairement contraire à ces droits fondamentaux, malgré l’objectif légitime de lutter contre les abus sexuels sur les enfants. Si la Suisse devait discuter d’une réglementation similaire, cela devrait impérativement se faire dans le respect de la vie privée, de la liberté d’expression et de la liberté de la presse. »
Valentin Rubin
Policy & Advocacy Manager, RSF Suisse
Une chose est sûre : une fois mises en place, les infrastructures de surveillance suscitent la convoitise et incitent à étendre leur utilisation à d’autres fins. Et c’est précisément l’UE qui, avec ce règlement, enverrait un signal fatal et fournirait aux États autocratiques la base pour leurs propres mesures de surveillance.
Les services de messagerie qui souhaitent conserver leur communication de bout en bout sont également inquiets : Meredith Whittacker, la directrice de l’application Signal, a déjà averti que Signal devrait quitter le marché européen si le contrôle des messageries était introduit. WhatsApp et Threema ont également pris clairement position contre ce projet. Au printemps, Threema a déclaré dans un communiqué : « Dans une démocratie saine, ce sont les citoyens qui contrôlent le gouvernement – la surveillance de masse est le renversement de ce principe démocratique fondamental. »