Reporters sans frontières (RSF), le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) et le Centre international pour les journalistes (ICFJ) ont déposé un document d’expertise juridique demandant à la Cour suprême des Philippines de classer l’affaire de diffamation en ligne contre Maria Ressa, la fondatrice et directrice du site d’information Rappler.
Dans un effort commun pour mettre un terme au harcèlement juridique contre la journaliste et lauréate du prix Nobel Maria Ressa et son ancien collègue Reynaldo Santos, ainsi que pour protéger le droit du public à être informé, trois grandes organisations de la société civile ont présenté à la Cour suprême des Philippines un amicus curiae. Ce document a été déposé le 13 juin 2024 par RSF, CPJ, et ICFJ, en partenariat avec le cabinet d’avocat Debevoise & Plimpton LLP. Il affirme que les condamnations pénales de Maria Ressa et Reynaldo Santos pour « diffamation en ligne » violent non seulement les engagements internationaux des Philippines, mais trahissent également l’héritage de la liberté de la presse que la Cour réaffirme depuis plus d’un siècle.
Les accusations concernent un article d’investigation publié en 2012 par Rappler, le site d’information fondé par Maria Ressa, à propos de l’utilisation, par le président de la Cour suprême, d’une voiture appartenant à l’homme d’affaires Wilfredo Keng. Après que ce dernier a déposé une plainte pour diffamation contre Maria Ressa et Reynaldo Santos en 2017, les journalistes ont été inculpés au pénal et finalement condamnés par un tribunal de première instance de Manille. Ces dernières années, Maria Ressa, ses collègues et le média en ligne Rappler ont été la cible d’une intense campagne de violences en ligne et de harcèlement judiciaire, avec 23 affaires différentes ouvertes par le gouvernement contre eux depuis 2018. Maria Ressa et Reynaldo Santos encourent près de sept ans de prison si leurs condamnations pour diffamation, actuellement à la dernière étape de l’appel devant la Cour suprême des Philippines, sont confirmées.
“Douze ans après la publication d’un article qui a été utilisé dans une campagne acharnée contre Maria Ressa, Rappler et d’autres journalistes, il est clair que ces accusations fallacieuses sont destinées à faire taire le journalisme indépendant et critique, et qu’elles ne tiennent pas debout. Nous appelons le tribunal à annuler les condamnations injustes contre Maria Ressa et Reynaldo Santos. Cette instrumentalisation de la loi doit cesser”, ont déclaré RSF, le CPJ, et l’ICFJ.
Invoquant le droit international et les précédents nationaux, le document soumis par les trois organisations affirme que cette affaire, et la criminalisation de la diffamation par le gouvernement philippin, ne sont pas en phase avec les meilleures normes juridiques en vigueur et sont incompatibles avec le droit international :
“Les journalistes ne peuvent pas faire leur travail sous l’épée de Damoclès de la responsabilité pénale. Ils ont le devoir de satisfaire l’intérêt public en informant sur les affaires publiques et doivent chaque jour décider rapidement quelles informations rapporter, avec un ensemble de faits souvent limité. La perspective de faire face à des poursuites pénales pour des faits supposément mal rapportés – ou pire encore, d’être punis pour avoir rapporté des informations exactes – aura un profond effet dissuasif, décourageant les journalistes d’aborder des sujets sensibles d’intérêt public. Cela risque de compromettre le droit d’accès du public à l’information et érode plus largement la liberté d’expression. Ce sont des coûts largement disproportionnés par rapport à l’intérêt que les accusations de diffamation sont censées protéger.”
Ce document, s’il est accepté par la Cour, serait le troisième mémoire en amicus curiae accepté dans cette affaire, après ceux du rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté d’opinion et d’expression et de l’Institut des droits de l’homme de l’Association internationale du barreau, dans le cadre de l’appel final de la condamnation pour diffamation de Maria Ressa devant la Cour suprême des Philippines.
Le document a été principalement rédigé par Natalie Reid, co-présidente du groupe de droit international public chez Debevoise, en collaboration avec Kristina Conti, avocate à l’Union nationale des avocats du peuple dans la région de la capitale nationale des Philippines.