Après plus de deux mois de procès à huis clos, un tribunal de Minsk a infligé ce 17 mars une lourde peine à la rédactrice en chef et à la directrice du média indépendant TUT.by, fermé en 2021 par les autorités. Reporters sans frontières (RSF) s’indigne de cette décision infondée et exhorte la communauté internationale à accroître la pression sur le Bélarus pour faire libérer les journalistes.

Lire en russe / читать на русском

Menottées, séparées de la cour dans une cage en verre, Maryna Zolatava et Lioudmila Tchekina ont accueilli avec le sourire un verdict pourtant implacable : 12 ans de prison. Les deux femmes dirigeaient ce qui fut le plus grand média indépendant du Bélarus, TUT.by. Listées comme “terroristes” par le régime d’Alexandre Loukachenko, la rédactrice en chef, d’un naturel optimiste malgré presque deux ans de détention provisoire, et la directrice, réputée être aussi solide qu’un roc, n’attendaient aucune clémence d’une justice inféodée au pouvoir.

“Figures emblématiques d’une presse libre, pire ennemi d’Alexandre Loukachenko car pilier de la démocratie, Maryna Zolatava et Lioudmila Tchekina sont innocentes. RSF appelle la communauté internationale à renforcer la pression sur le Bélarus, allié inféodé de la Russie,  pour les faire libérer ainsi que tous les journalistes emprisonnés dans le pays.

Jeanne Cavelier
Responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF

Maryna Zolatava est déclarée coupable d’“incitation à la haine sociale” et de “diffusion de contenus appelant à des actions portant atteinte à la sécurité nationale”. Lioudmila Tchekina est, elle, condamnée pour “évasion fiscale”, “organisation d’incitation à la haine sociale” et “diffusion de contenus appelant à des actions portant atteinte à la sécurité nationale”.

Propagande éhontée

La veille de la décision du tribunal, la chaîne d’État Belarus 1 a diffusé une “enquête” sur TUT.by et sa rédactrice en chef Maryna Zolatava, introduite par ces mots : “Pourquoi l’un des plus grands portails Internet du pays s’est-il transformé en dépotoir et est-il devenu le coordinateur direct de l’anarchie dans les rues du Bélarus ?” Ce film de propagande intitulé Bye bye, TUT.baï (“Au revoir, TUT.by”) relate pendant près d’une heure et demie “l’impact négatif” du média et l’enrichissement supposé de ses dirigeants pendant de nombreuses années. TUT.by et ses équipes sont alors présentés comme responsables de presque tous les maux du Bélarus les dévaluations, l’indignation populaire face aux actions des autorités liées au Covid-19, et même la révolution de Maïdan de 2014 en Ukraine.

Apogée d’une longue campagne de discrédit, l’absurdité des accusations portées par ce film a suscité une réaction combative de l’ancienne équipe de TUT.by : “Mila, Maryna, nous sommes fiers de vous. Votre intégrité et votre persévérance sont un exemple pour chacun de nous. Nous sommes fiers de poursuivre votre travail – nous délivrons aux Biélorusses de vraies informations, quoi qu’il arrive.”

Rien n’a filtré du procès à huis clos depuis son ouverture le 9 janvier 2022. Seuls les avocats, tenus par un accord de confidentialité, ont pu y assister. Signe d’une volonté de priver les journalistes d’un appui juridique, une avocate de la défense a été radiée du barreau en cours de procès, le 25 janvier, pour “qualifications insuffisantes” alors qu’elle pratiquait depuis dix ans.

Arrêtées le 18 mai 2021 lors d’un raid dans les locaux de TUT.by et la résidence de plusieurs employés, Maryna Zolatava et Lioudmila Tchekina ont toujours refusé de signer une lettre reconnaissant leur culpabilité. Trois de leurs collègues devaient être jugées en même temps. Volha Loïka, Alena Talkatchova et Katsiaryna Tkatchenka, en liberté conditionnelle, ont réussi à fuir le pays avant cette parodie de procès. Elles ont été inscrites par le tribunal sur la liste des personnes recherchées au Bélarus. Neuf autres ont plaidé coupable en amont et payé pour les dommages supposés à l’État, afin d’être libérés.

Censure et autres condamnations

Quelques mois après ce jour noir pour le média le plus emblématique du pays, TUT.by renaît de ses cendres : en juillet 2021, une partie de l’ancienne équipe éditoriale lance un nouveau site d’information en exil, Zerkalo.io – qui signifie “miroir” en français. Extrêmement populaire, ce média aussitôt censuré par le pouvoir biélorusse figure sur la liste des plus de 80 sites débloqués dans le monde par RSF dans le cadre de son opération Collateral Freedom.

Aujourd’hui, outre Maryna Zolatava et Lioudmila Tchekina, dans un autre procès tenu à huis clos, Valerija Kastsiougova, rédactrice du Belarusian Yearbook, a été condamnée à dix ans d’emprisonnement. Le Bélarus figure dans le top 5 des plus grandes prisons au monde pour les journalistes, particulièrement les femmes (Bilan RSF 2022) : 32 professionnels des médias biélorusses se trouvent actuellement derrière les barreaux (leurs portraits).

Ils sont près de 400 à avoir été forcés à l’exil, selon l’Association biélorusse des journalistes (BAJ). Partenaire de RSF qui documente dans le pays les cas d’exactions contre les journalistes, la BAJ est la première organisation de défense des droits humains à avoir été déclarée par le KGB, le 28 février 2023.

Le régime d’Alexandre Loukachenko mène depuis août 2020 une répression féroce de toute velléité journalistique. « Certaines de ces violations peuvent constituer des crimes contre l’humanité », estime l’ONU dans un rapport publié le 17 mars. Censure, violence, arrestations, perquisitions, se poursuivent au nom de la “lutte contre l’extrémisme”, sur fond de propagande russe de plus en plus intense, depuis l’invasion de l’Ukraine. Être abonné à l’un des nombreux médias déclarés “extrémistes” ou de simples commentaires pacifiques sur les réseaux suffisent pour être condamné.

Le Bélarus dans le Classement mondial de la liberté de la presse publié par RSF

Partagez cet article !