Les dernières plaidoiries du procès contre l’ancien ministre de l’Intérieur gambien Ousman Sanko se tiennent en Suisse en ce début du mois de mars. Elles interviennent juste après la décision historique, en novembre 2023, d’un tribunal allemand de condamner un citoyen gambien pour crimes contre l’humanité pour son rôle dans l’assassinat du journaliste et correspondant pour Reporters sans frontières (RSF) Deyda Hydara. La condamnation de l’ex-ministre de l’Intérieur pour les attaques du président Jammeh contre des journalistes représenterait une étape majeure dans la recherche de responsabilité menée par la Gambie. 

Une étape supplémentaire a été franchie dans la lutte contre l’impunité pour des crimes contre des journalistes durant l’ère Yahya Jammeh. Début mars, le Tribunal pénal fédéral de Bellinzona, en Suisse, entend les dernières plaidoiries du procès d’Ousman Sanko, ancien ministre de l’Intérieur de Gambie et actuellement jugé pour crimes contre l’humanité sous le régime de l’ancien président. Afin de museler toute opposition, celui-ci harcelait les médias indépendants avec une législation restrictive et intimidait des professionnels de la presse de différentes manières, dont des incendies criminels contre des infrastructures et des menaces personnelles envers des journalistes par appels ou lettres anonymes. Lors de sa dictature, des journalistes, des politiciens, parmi d’autres voix critiques, ont été jetés en prison, torturés, voire assassinés, comme ce fut le cas de l’ancien correspondant de RSF, Deyda Hydara.

«Nous saluons la tenue en Suisse d’un procès qui marque un progrès considérable dans la lutte contre l’impunité et dans le recours par les juridictions suisses à la compétence universelle pour juger des crimes contre l’humanité, où qu’ils se soient produits. Il était extrêmement important qu’Ousman Sonko doive répondre de ses actes à l’égard de ses victimes, au nombre desquelles on dénombre des journalistes emprisonnés et torturés. Les persécutions exercées contre des journalistes ne sont pas seulement des crimes isolés mais relèvent d’une attaque systématique contre la population d’un pays: c’est l’un des messages que délivre ce procès, notre organisation s’en félicite et ne lâchera rien.»

Denis Masmejan, secrétaire général de RSF Suisse

En tant qu’ancien chef militaire, puis inspecteur général de la police et enfin, de 2006 à 2016, ministre de l’Intérieur, Ousman Sanko est accusé d’avoir joué un rôle décisif dans la répression systématique et généralisée du président Jammeh de ceux parmi la population civile qu’ils considérait comme une menace à son pouvoir. Le procureur général de la Suisse l’a inculpé de plusieurs chefs d’accusation de crimes contre l’humanité, entre autres.

Peu avant la fin de l’ère Jammeh, Ousman Sanko a été démis de ses fonctions et a fui vers la Suisse. En 2017, des journalistes suisses révélèrent son identité et une plainte au pénal fut déposée contre lui par des organisations de la société civile de défense de victimes de l’ancien régime gambien. Onze d’entre elles ont témoigné à la barre en janvier, dont Madi Ceesay, alors journaliste et aujourd’hui membre du Parlement gambien, et Musa Saidykhan, rédacteur en chef de The Independant, l’un des principaux quotidiens du pays avec The Point de Deyda Hydara. Les deux premiers ont été arrêtés à la suite de la publication d’articles dans The Independant et, lors de leur détention de plusieurs semaines, été torturés par les autorités gambiennes – sous le contrôle présumé, à l’époque, d’Ousman Sanko.

En novembre 2023, un tribunal allemand a été le premier au monde à établir que les crimes du régime Jammeh avaient été commis dans le contexte d’une attaque généralisée et systématique contre la population civile et constituaient donc un crime contre l’humanité. À Bellinzona, une décision est attendue dans les prochains mois. Alors qu’au procès qui s’est tenu en Allemagne, un soldat de rang inférieur a été condamné à la prison à vie et que l’ex-ministre Sanko pourrait se voir infliger une peine similaire, le principal responsable est toujours en liberté : Yahya Jammeh lui-même vit en Guinée équatoriale depuis la fin de son régime, en 2017.

RSF a régulièrement demandé l’extradition de Yahya Jammeh en Gambie, où la Commission vérité, réconciliation et réparations (TRRC) a ouvert la voie à l’obligation de rendre des comptes pour les violations de droits humains sous son régime. Amener l’ex-président lui-même devant des juges permettrait de franchir une nouvelle étape cruciale dans la quête de responsabilité de la Gambie et de renforcer la liberté de la presse dans le pays.

La Gambie a connu une nette progression au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF, en passant du 98e rang en 2004, l’année où Deyda Hydara a été tué, au 46e rang en 2023.

Partagez cet article !