Comment font-ils ? Comment vivent et opèrent les journalistes palestiniens présents dans la bande de Gaza (photo Keystone/Xinhua/Chen Junqing, vue de la frontière israélienne en direction du nord de la bande de Gaza, Sderot, 29 octobre 2023) ? « Nos conditions de travail sont abominables. Nous risquons notre vie partout sous les bombardements, lors de nos déplacements comme en restant au bureau », confiait au quotidien Le Monde le photographe Mahmud Hams, de l’Agence France Presse (AFP), dans un article publié le 13 octobre.

La liste des journalistes tués s’allonge de jour en jour ou presque. Dans les dix jours qui ont suivi les massacres commis en territoire israélien par la branche armée du Hamas, le samedi 7 octobre, et le déclenchement de la riposte de l’Etat hébreu, notre organisation a déjà dénombré dix journalistes tués dans l’exercice de leur métier, dont huit dans la bande de Gaza. Neuf autres professionnels de l’information sont morts chez eux, sous les bombardements. RSF essaie de déterminer s’ils ont été ciblés en raison de leur travail. En effet, selon les Conventions de Genève sur le droit international humanitaire, les journalistes doivent être traités à l’égal des civils et ne peuvent devenir des cibles militaires. Le fait, pour l’un des belligérants, de viser des journalistes identifiés comme tels ou des bâtiments abritant exclusivement des médias doit être considéré comme un crime de guerre.

Assassiné par les hommes du Hamas

Du côté israélien de la frontière, Yaniv Zohar, photographe pour le quotidien en hébreu Israel HaYom, ancien correspondant de l’agence de presse AP en Israël, lui, a été assassiné par les hommes du Hamas avec sa famille, au matin du 7 octobre, dans le kibboutz de Nahal Oz où il résidait. Quant au journaliste libanais Issam Abdallah, travaillant pour l’agence de presse Reuters, il a été tué par une frappe au sud du Liban, près de la frontière avec Israël, alors qu’il couvrait des tirs entre le Hezbollah et l’armée israélienne. A cette occasion, six autres journalistes ont également été blessés, dont deux de l’Agence France Presse (AFP).

« Il a été touché alors qu’il filmait », a expliqué dans une vidéo Alessandra Galloni, la rédactrice en chef de Reuters. « Nos témoins sur place ont dit que l’obus qui l’a tué venait d’Israël », a-t-elle indiqué. « C’était un journaliste expérimenté, talentueux et passionné, et il ne faisait que son métier quand il a été tué ». Issam Abdallah faisait partie d’un groupe de journalistes clairement identifiés comme tels et régulièrement accrédités. La responsable de l’agence de presse a appelé « toutes les parties » à respecter « tous les médias » et à collaborer avec eux pour assurer la sécurité et la protection des professionnels de l’information. Elle a déclaré attendre désormais qu’une enquête « rapide, transparente et approfondie » fasse la lumière sur les circonstances ayant entraîné la mort de son collaborateur.

Alors que des bombardements d’une extrême intensité continuent à s’abattre quotidiennement sur la bande de Gaza, les journalistes palestiniens – les seuls qui puissent être présents dans la zone – en sont réduits à travailler dans des conditions extraordinairement exposées et précaires. Selon les informations recueillies par nos collègues du secrétariat international de RSF, une cinquantaine d’entre eux ont dû quitter précipitamment leurs lieux de vie et de travail à la suite de l’ordre d’évacuation donné par Israël, et n’ont pu emporter avec eux ni leurs outils de travail, ni leurs données, ni leur matériel de protection. Par ailleurs, les bâtiments abritant nombre de médias palestiniens ont été détruits par les incessants bombardements. La plupart des 24 stations de radio de la bande de Gaza ont été mises hors service soit par les frappes aériennes, soit parce qu’elles ne disposaient plus du carburant nécessaire pour alimenter leurs générateurs et donc pour fonctionner.

Blocus médiatique

Certains journalistes, à Gaza, tentent pourtant de continuer à faire leur travail et refusent de quitter la ville comme le demandent les forces armées israéliennes à la population civile. Au micro de la RTS, la journaliste Céline Martelet, l’une des envoyées spéciales de la chaîne publique romande à Tel-Aviv, qui s’était rendue à Gaza en janvier dernier encore, a cité le cas de l’un de ses proches confrères palestiniens, « tous les jours sur le terrain pour faire son travail » afin qu’au blocus appliqué par Israël ne s’ajoute pas, en plus, un blocus médiatique.

On a coutume de dire que l’information est la première victime d’une guerre. Les événements qui dévastent actuellement le Proche-Orient n’y font pas exception. Les conditions précaires et extraordinairement risquées dans lesquelles opèrent les seuls journalistes palestiniens présents à Gaza et l’impossibilité pour les journalistes étrangers d’y pénétrer sont propices à la manipulation « des deux côtés », soulignait Céline Martelet dans son interview.

Dans le cas particulier, la déflagration émotionnelle que les massacres perpétrés par le Hamas ont déclenchée – de manière compréhensible – en Israël et ailleurs, tendent à rendre suspecte la moindre nuance apportée au « narratif » du conflit. Et l’information, tous les journalistes le savent, n’est pas un narratif…

Denis Masmejan, secrétaire général de RSF Suisse

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