En contraignant, il y a quelques années, une rédactrice de la Basler Zeitung, Nina Jecker, à révéler l’identité d’un dealer qu’elle avait interviewé dans le cadre d’un reportage sur le trafic de drogue dans la cité rhénane, le Tribunal fédéral avait suscité beaucoup d’émoi chez les journalistes suisses. En chœur, ceux-ci avaient dénoncé une atteinte crasse à la protection des sources, pourtant expressément garantie par la Constitution. Avec raison, puisque l’an dernier, la Cour européenne des droits de l’Homme (photo Keystone-ATS) a considéré, à l’unanimité, que ce jugement violait la liberté de l’information.
Autant dire que les juges de Strasbourg ne badinent pas avec le secret rédactionnel. C’est à eux que l’on devait, en 1996 déjà, la consécration de cette institution fondamentale d’un régime démocratique, au motif que sans elle la presse serait dans l’incapacité de remplir sa tâche de chien de garde sociétal. L’arrêt Jecker s’inscrit dans la droite ligne de cette décision de principe (et de plusieurs autres qui sont venues entretemps renforcer la protection des sources) en rappelant au Tribunal fédéral que « le droit des journalistes de taire leurs sources ne saurait être considéré comme un simple privilège qui leur serait accordé ou retiré en fonction de la licéité ou de l’illicéité de leurs sources, mais constitue un véritable attribut du droit à l’information, à traiter avec la plus grande circonspection » ; qui plus est, « la participation apparente de journalistes à l’identification des sources anonymes a toujours un effet inhibiteur ».
La portée de la décision de la CourEDH va bien au-delà des démêlés de Nina Jecker avec nos autorités judiciaires. Les considérants de l’arrêt soulignent en effet que les dérogations à la protection des sources posées par notre code de procédure pénale ne sont pas d’application automatique. Pour chaque cas qui se présente, l’obligation exceptionnelle faite au journaliste de témoigner doit être mise en balance avec la gravité des délits poursuivis et l’intérêt du public à connaître les faits de la cause. En l’espèce, les juges européens ont estimé d’une part que le trafic de drogue était une thématique importante pour la collectivité, d’autre part que le commerce de cannabis et de haschisch auquel s’adonnait le dealer interviewé était de peu d’ampleur. Tant mieux pour Nina Jecker dont on ne manquera pas de saluer la détermination et la persévérance puisqu’elle a obtenu gain de cause près de dix ans après son refus de collaborer avec la justice bâloise.