En Suisse, le débat sur l’aide de l’Etat aux médias a repris de plus belle. Avec probablement plus de vigueur en Suisse romande qu’en Suisse alémanique. Il faut dire que les cantons romands sont particulièrement touchés par la brutale restructuration annoncée par l’éditeur Tamedia à la fin de l’été et le quasi abandon de la Tribune de Genève qu’elle implique (photo: Keystone-ATS).

L’Etat doit-il financer les médias ? C’était le thème de plusieurs tables rondes organisées cet automne dans la ville de Calvin – faisant apparaître des clivages politiques très marqués. Le quotidien genevois de gauche Le Courrier milite pour une aide directe – le versement de subventions –, le journal économique et financier L’Agefi, libéral, y est opposé.

La question n’avancera pas d’un pouce si l’on s’enferme dans un tel face à face idéologique. A ceux qui imaginent un paysage médiatique financé de manière prépondérante par l’argent du contribuable sur le modèle de la SSR ou d’autres politiques publiques, il faut avoir le courage de répondre que ce rêve ne deviendra jamais une réalité parce que son financement est politiquement utopique. On n’aidera pas les médias en leur vendant du rêve. Pour le dire autrement : qu’on le veuille ou non, le marché restera l’un des contributeurs importants, et probablement le plus important, au financement des médias.

Mais à ceux qui prétendent que les pouvoirs publics doivent s’abstenir de financer les médias, il faut rappeler que l’Etat fédéral, dès ses débuts, a estimé devoir soutenir les journaux par des rabais sur la distribution postale : ce que l’on appelle aujourd’hui l’aide indirecte à la presse a été introduite dans la législation fédérale en … 1849, à une époque où l’Etat radical, que l’on sache, ne souffrait pas de penchants collectivistes particulièrement marqués.

La question aujourd’hui est de savoir si la Suisse veut supprimer voire réduire encore davantage son engagement envers le journalisme – très modeste en comparaison internationale – ou si elle veut au contraire inaugurer une politique des médias plus ambitieuse et surtout plus adaptée à l’ère numérique. Pour notre organisation, c’est très clairement la seconde option qui doit être défendue.

On le sait, la Constitution limite aujourd’hui les possibilités de l’Etat fédéral d’agir en faveur des médias. Le soutien actuel – qui se limite pour l’essentiel à l’aide à la distribution postale – a été conçu au 19e siècle et il est donc calibré pour la presse papier uniquement. Cela doit changer. Les diverses initiatives prises par les cantons en ce domaine sont certes louables – certaines, disons-le, plus que d’autres – mais elles ne suffiront pas. L’Etat fédéral doit agir. La question de savoir si une révision de la Constitution est nécessaire ou si celle-ci peut être interprétée de manière flexible et autoriser d’autres formes d’aide aux médias divise les juristes. Il faudra la clarifier et c’est pourquoi la réflexion autour d’un nouvel article constitutionnel sur les médias lancée, en Suisse romande, par le think tank Nouvelle Presse doit être encouragée.

Dans tous les cas de figure, les formes de soutien envisagées ne devront en aucune manière permettre aux pouvoirs publics d’exercer, directement ou indirectement, une influence sur les contenus publiés par les médias soutenus. Or, à en juger par certains projets récents, lancés notamment à Genève, ce qui semble aller de soi pourrait se révéler beaucoup plus délicat qu’on ne le pense à mettre en œuvre.

Denis Masmejan, secrétaire général RSF Suisse

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