Connu pour ses enquêtes sur des proches du pouvoir russe, Roman Anin a été entendu comme témoin pour un article datant de 2016 et risque plusieurs années de prison en cas de poursuites. Reporters sans frontières (RSF) dénonce des pressions policières et judiciaires et appelle à classer cette affaire infondée.

La justice et le FSB, les services de sécurité russes, en ont clairement fait une cible. Roman Anin, fondateur de l’un des principaux médias d’investigation russe, Vajnye Istorii, a été interrogé à deux reprises en l’espace de trois jours. La première fois, des agents du FSB ont mené, dans la nuit du 10 avril, une perquisition durant sept heures à son domicile. Après avoir confisqué ses outils de travail (ordinateurs, téléphones, clés USB), ils ont emmené le journaliste pour l’interroger. Deux jours plus tard, Roman Anin a de nouveau été entendu pendant plus d’une heure au siège du comité d’enquête de la Fédération de Russie. Tout cela pour être l’objet d’une enquête pour “violation de la vie privée”.

Le journaliste, plusieurs fois primé pour son travail, est entendu comme témoin dans une affaire pénale après une plainte déposée en 2016 par Olga Setchina, ex-épouse d’Igor Setchine, le PDG de la compagnie pétrolière publique russe Rosneft et ancien chef de cabinet du président Vladimir Poutine. Cette plainte vise un article de Roman Anin paru dans le journal indépendant Novaïa Gazeta, qui révélait qu’Olga Setchina se rendait fréquemment sur un yacht appelé “Princesse Olga” d’une valeur de plus de 100 millions de dollars. L’affaire, d’abord classée sans suite, a finalement été rouverte le 25 mars 2021, sans explication.

“Les pressions policières et judiciaires subies par Roman Anin sont une nouvelle attaque portée au journalisme d’investigation en Russie, dénonce la responsable du bureau Europe de l’Est et Asie Centrale, Jeanne Cavelier. Le journaliste risque plusieurs années de prison en cas de poursuites. RSF condamne fermement cette tentative d’intimidation et appelle les autorités à classer cette affaire infondée.”

Igor Setchine avait gagné un procès en 2016 contre Novaïa Gazeta, dont la rédaction avait été contrainte de publier un avertissement concernant l’article du yacht, indiquant que “par décision du tribunal, l’article est reconnu comme révélant de fausses informations et discréditant l’honneur d’Igor Setchine”.

Selon le cofondateur du consortium de journalistes d’enquête Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), cette nouvelle enquête pourrait être liée à la publication, il y a un mois, d’un article de Roman Anin sur des liens entre le directeur adjoint du FSB et le crime organisé. La rédaction de Vajnye Istorii, membre de l’OCCRP, soupçonne de son côté Igor Setchine d’avoir orchestré la réouverture de cette affaire afin d’intimider le journaliste.

En effet, peu après l’interrogatoire du 12 avril, son entreprise Rosneft a publié un communiqué accusant Vajnye Istorii de mener une “guerre de l’information” visant à “dénigrer l’entreprise et ses dirigeants”. Au cours des deux derniers mois, la société a intenté dix fois des poursuites contre des journalistes dont deux fois contre des reporters de Vajnye Istorii.

RSF a déjà alerté sur des cas d’ingérence éditoriale en faveur de la compagnie Rosneft. En avril 2020, la rédaction du journal d’affaires Vedomosti avait été obligée de supprimer et modifier des articles critiques sur la compagnie pétrolière après le rachat du journal.

La Russie occupe la 149e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse de RSF.

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