A l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes 2025, Reporters Sans Frontières Suisse, met en lumière les défis persistants auxquels sont confrontées les femmes journalistes en Suisse et dans le monde. Le mouvement #MeToo a indéniablement marqué un tournant dans la libération de la parole au sein de la profession mais les inégalités et les menaces persistent. En Suisse, des associations et des mouvements se sont développés afin d’améliorer les conditions de travail des femmes et des personnes issues de minorités de genre au sein de la profession.
Etre une femme journaliste, dans de nombreux endroits autour du monde, c’est risquer sa vie face à des menaces et des violences multiformes allant du cyberharcèlement aux agressions physiques, en passant par des procédures judiciaires abusives et, dans les cas les plus extrêmes, l’assassinat. Dans de trop nombreux endroits, exercer le métier de journaliste lorsque l’on est une femme signifie naviguer dans un environnement hostile où la quête d’information peut avoir des conséquences psychologiques et physiques dramatiques.
Les conclusions du rapport RSF sur le journalisme à l’ère #MeToo
Comme l’avait rappelé RSF dans son rapport publié en octobre 2024 «Le journalisme à l’ère #MeToo», le mouvement médiatisé en 2017 a contribué à une plus grande couverture des questions de genre, des violences sexistes et sexuelles, ainsi que des sujets liés aux droits des femmes et des minorités de manière plus générale. Cependant, l’enquête exclusive de RSF, menée auprès de 113 journalistes dans près d’autant de pays, a révélé que plus de 25% d’entre eux considéraient qu’il était toujours dangereux de travailler sur ces sujets. Ces violences prennent différentes formes : menaces de viol, insultes à carcatère sexuel, deepfakes à caractère pornographique, cyberharcèlement, menaces de mort, agressions physiques… RSF dénonce notamment l’ampleur du cyberharcèlement visant les journalistes qui couvrent ces sujets. Près de 60% des journalistes interrogés connaissent au moins un cas de journaliste couvrant les droits des femmes victime de cyberharcèlement. Ce dernier a des conséquences importantes, allant de l’autocensure à des répercussions dans la vie réelle, affectant la sécurité, la liberté d’expression et la santé mentale des journalistes et de leurs familles.
Mais l’impunité persiste : 93 % des journalistes interrogés par RSF déclarent n’avoir aucune connaissance de condamnations pour ces violences.
Sevinj Vagifgizi (Azerbaïdjan), Frenchie Mae Cumpio (Philippines), Pham Doan Trang (Vietnam), Sandra Muhoza (Burundi), voici les noms de femmes journalistes dont les situations illustrent les menaces auxquelles sont confrontées leurs consoeurs à travers le monde. En Afghanistan aussi, depuis la prise du pouvoir par les talibans, l’effacement des femmes du journalisme est une réalité brutale où plus de quatre femmes sur cinq ont perdu leur emploi de journaliste. Cette année, pour la première fois de son histoire, la liste des cas prioritaires de RSF est exclusivement composée de femmes.
Pour RSF, le journalisme spécialisé sur ces thématiques est une priorité. Retrouvez nos recommandations aux Etats, aux autorités policières et judiciaires, aux plateformes et aux rédactions.
Les initiatives en Suisse
Bien que la situation des femmes journalistes en Suisse ne soit pas comparable avec celle qui prévaut dans les pays qui viennent d’être évoqués, elle reste marquée par une sous-représentation significative aux postes de direction dans les médias, une difficulté à concilier vie de famille et carrière en raison du manque de modèles de travail flexibles et une culture de la disponibilité constante. De plus, les biais de genre continuent d’influencer la profession, les femmes étant moins souvent représentées comme expertes ou décideuses. Mais ces dernières années, plusieurs initiatives ont émergé en Suisse, portées par des entreprises de presse ou des professionnels du métier.
Lancée en 2019, l’initiative EqualVoice du groupe Ringier vise à promouvoir l’égalité dans les médias en cherchant à accroître la visibilité des femmes tout en leur offrant un espace d’expression égal à celui des hommes. Son algorithme, l’ «EqualVoice Factor», permet de mesurer la présence des femmes dans les titres, images et textes des contenus médiatiques. En complément, EqualVoice a mis en place une liste d’expertes, un répertoire conçu pour faciliter l’accès aux expertes féminines pour les journalistes.
L’EqualVoice Factor révèle d’ailleurs une tendance positive vers une plus grande parité de genre dans les reportages des médias du groupe Ringier en 2024 par rapport à l’année précédente. Mais Johanna Walser, directrice de communication pour Ringier, ajoute «Malgré des évolutions positives, des défis subsistent. Dans certains domaines journalistiques, tels que l’économie et le sport, la proportion de femmes dans les reportages est inférieure à celle des hommes.»
Le réseau suisse MedienFrauen est une initiative visant à mettre en réseau les femmes du secteur des médias en Suisse tout en renforçant leur visibilité. MedienFrauen soutient les femmes à travers des échanges ciblés, des formations continues et une visibilité accrue afin de leur permettre de gérer activement leur carrière.
«Dans un pays aux structures médiatiques plurilingues comme la Suisse, il est essentiel que de multiples perspectives soient représentées, tant dans les rédactions qu’aux postes de direction.» déclarent les co-présidentes de MedienFrauen, Giulia Cresta et Nadia Kohler, à RSF Suisse. «Les femmes sont toujours sous-représentées dans les directions des médias suisses, même si nous avons constaté avec plaisir que des femmes sont à la tête de Ringier et de Tamedia. Il ne suffit pas d’avoir des CEO.» ajoutent-elles.
La Suisse occupe la 9e place au Classement de la liberté de la presse de RSF établi en 2024.
Sophie Sager
RSF Suisse