Elon Musk promeut sa plateforme X comme alternative aux médias traditionnels. Sous la bannière d’une prétendue liberté d’expression absolue, le milliardaire de la tech s’est transformé en fidèle compagnon de route de Donald Trump. Cette alliance a des conséquences importantes pour les médias et le journalisme. Et pas seulement aux Etats-Unis.

« You are the media now », a posté Elon Musk (photo: Keystone / MAXPPP/) sur sa plateforme X le 6 novembre, le lendemain de l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis. « Maintenant, vous êtes les médias. »

« Vous », à savoir tous les suiveurs et suiveuses du milliardaire américain. Et au sens large, tous les utilisateurs de X. Ces cinq mots ont de grandes implications. Ils représentent un changement inquiétant dans le paysage de l’information, dont les conséquences nous accompagneront probablement longtemps encore. Ce que Musk insinue est que les médias traditionnels ont fait leur temps et ont perdu, avec les démocrates américains, non seulement les élections présidentielles, mais aussi le peu de crédibilité qui leur restait. Ce qui vient maintenant, c’est la domination des plateformes dont Musk possède lui-même l’une des plus importantes, X. Il s’agit donc d’une nouvelle ère pour les médias sociaux.

Au moins depuis qu’il a acheté Twitter en 2022 et l’a rebaptisé X l’année suivante, Musk est profondément sceptique à l’égard des médias et d’un journalisme fort. Les régulations internes que la branche des médias s’est données – et que la Suisse connaît par exemple à travers le Conseil de la presse – ne sont pour Musk qu’une forme de censure. Pour lui, les journaux qui effectuent un travail important, comme le fact-checking, ou qui luttent contre la désinformation, font partie d’un vaste « cartel de la censure ».

Une prétendue liberté d’expression radicale

Le milliardaire de la technologie passe par-dessus bord les principes journalistiques tels que l’équité, l’honnêteté, l’obligation de vérité, la protection de la dignité humaine et des droits de la personnalité ou la distinction entre les opinions et les faits. Sa plate-forme X devient ainsi un incubateur pour tout, sauf pour une alternative au journalisme – bien qu’il ait posté le slogan « you are the media now » un nombre incalculable de fois sur son compte depuis le 6 novembre.

Ce qui compte pour Musk, c’est une prétendue liberté d’expression radicale : tout le monde peut dire tout ce qu’il veut, comme il veut et où il veut. Peu importe s’il s’agit d’abattre – au sens propre – la vice-présidente américaine Kamala Harris (posté le 7 octobre) ou si les immigrés haïtiens mangent des animaux domestiques (posté le 9 septembre). Peu importe si l’Europe va bientôt s’éteindre en raison d’un taux de natalité en baisse (posté le 17 novembre). Peu importe si c’est vrai ou non. Tout est permis.

Le quotidien britannique The Guardian avait déjà qualifié Musk de « plus grand hypocrite de la liberté d’expression au monde ». Car Musk, dans sa logique du « anything goes », permet en réalité à des contenus mensongers, autoritaires ou conspirationnistes d’avoir une plus grande portée sur X que des contenus modérés. Il en résulte un flot d’informations dans lequel il devient plus difficile pour les utilisateurs de faire la différence entre les « bots », la désinformation, l’intelligence artificielle et les contenus journalistiques. 

Les informations crédibles sont supprimées

Donald Trump s’en félicite. Il peut désormais contourner les médias presque collectivement, voire les ignorer. Il n’a de toute manière presque plus donné d’interviews pendant sa campagne électorale. Les innombrables fact-checkings ont glissé sur lui. Son arme la plus puissante n’est plus les mensonges constants qu’il diffuse dans les médias. Ce sont les médias sociaux eux-mêmes, sur lesquels il peut faire ce qu’il veut.  grâce à Elon Musk notamment. Avec un fort impact et sans véritable concurrence.

C’est précisément contre ce scénario que la journaliste philippine et lauréate du prix Nobel de la paix en 2021, Maria Ressa, a mis en garde dès 2022 – également dans le Guardian. Dans une interview, elle déclarait que la démocratie pourrait être précipitée d’une falaise en 2024. Si les informations crédibles sont supprimées et remplacées par des mensonges, si les faits sont attaqués par une foule numérique, si l’on décide « du haut vers le bas » que les faits n’ont plus d’importance, nous serions alors en mauvaise posture dans la guerre de l’information, relevait-elle.

Les médias ne peuvent pas résoudre le problème à eux seuls

Le journalisme doit impérativement se défendre contre ces tendances – et pas seulement aux Etats-Unis. Car ce que nous observons sur les médias sociaux a également des répercussions en Europe et en Suisse. Le journalisme doit être en mesure de faire croire aux gens que les contenus journalistiques sont plus que jamais une source d’information fiable et sans alternative pour la population.

Les médias doivent faire preuve d’innovation pour pouvoir s’autofinancer autant que possible et couvrir les intérêts de la population. Mais seuls, ils ne peuvent guère résoudre le problème. Il faut un soutien assuré aux médias – en partie par l’État, en partie par des formes alternatives comme des fondations ou des programmes de soutien et en partie par des modèles d’abonnement traditionnels. En outre, il faut une régulation des médias sociaux. Il ne s’agit pas d’une forme de censure arbitraire, comme le prétendent Musk et consorts. Mais des garde-fous qui permettent et encouragent un discours démocratique sur les plateformes. Enfin, il faut aussi que le lectorat soit prêt à choisir des médias de qualité et à payer pour leur travail important. Le journalisme n’a jamais été un bien gratuit. Et il ne peut pas non plus le devenir à l’avenir.

Pour reprendre les mots de Thibaut Bruttin, secrétaire général de Reporters sans frontières à Paris: si nous restons les bras croisés à l’avenir, les médias deviendront de plus en plus les idiots utiles d’un combat politique qui a peu de chances d’être gagné.

Valentin Rubin, Policy & Advocacy Manager RSF Suisse

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