Dans les zones de crise et de guerre, les reporters peuvent se trouver en danger loin de toute assistance médicale. Que faire alors ? Après avoir travaillé en Ukraine, le journaliste indépendant Raimond Lüppken a voulu être mieux préparé et a participé, avec son confrère Dario Veréb, à une formation pour les reporters de guerre que RSF Suisse avait signalée. Voici leur compte rendu.
La sueur dégouline de mon front et perle sur mon gilet de protection. Je veux l’essuyer, mais j’ai du sang sur les mains. Raimond va fumer une cigarette. Je me laisse tomber sur une chaise, vide une bouteille d’eau, me relève en grognant et vais me laver, même si dans dix minutes je serai à nouveau sale.
Je dois encore remplir l’IFAK, mon kit de premiers secours individuel. Pansement thoracique, garrot, tube de Wendl, couverture de survie. J’ai encore un pansement compressif. Puis Bernhard vient nous chercher. Retour dans les galeries.
Raimond et moi nous approchons d’un camion qui fume. Le chauffeur est allongé, le front sur le tableau de bord. Pascal s’approche de nous en boitant et nous décrit la situation : «Tout à coup, la route a explosé. Le chauffeur est encore en vie.» Il a dû rouler sur une mine. Nous ouvrons la portière du passager. Sur le rétroviseur est accrochée ce que nous pensons être une partie du corps d’un passant, et traînons l’occupant à l’extérieur. Agenouillés derrière un pilier, nous commençons la première évaluation : «Exsanguination», crie Raimond: la victime perd du sang. Je lui passe le garrot de mon IFAK, il ligature le bras à moitié explosé. «Hot Zone, Hot Zone», crie Pascal. Un sniper a ouvert le feu ; nous devons partir d’ici. «Il y a encore un enfant sur la banquette arrière!» J’hésite, puis me précipite vers le véhicule. Des coups de feu résonnent. J’attrape l’enfant et me dirige là où je peux le soigner. Je me crie à moi-même: «Exsanguination»: aucun saignement massif n’est visible. Je poursuis: «Airway»: l’enfant respire difficilement. Je le mets en position latérale de sécurité. Etape suivante: «Breathing», puis «Circulation», «Disability» et enfin «Exposure». E, A, B, C, D, E. Raimond traite le conducteur selon le même schéma.
À un moment donné, Bernhard nous tape sur l’épaule et met fin à l’exercice. De nouveau, de la sueur dégouline de mon front. Les mains de Raimond sont couvertes de sang. Le poids du casque, du gilet pare-balles et du gilet pare-éclats pèse lourdement sur nos corps. «Faites une pause. Nous préparons le prochain scénario», dit Bernhard.
Pas à pas vers la zone de guerre
Les galeries de la carrière de Trübbach (SG) sont parfaites pour ce cours de premiers secours destiné aux reporters de crise que nous avons suivi les 11 et 12 juin : Dans les couloirs sombres et moisis de la mine souterraine, l’instructeur Bernhard Mautner et son équipe mettent en scène des situations réalistes, telles que les journalistes peuvent les rencontrer dans des zones de conflit.
Avec des mesures de sécurité maximales, des armes à feu, des explosifs et des fumigènes sont utilisés pour mettre les participants sous stress. Une alarme aérienne diffusée par haut-parleur, des gicleurs et de faibles sources de lumière complètent le décor. Outre les mannequins qu’il faut sans cesse sortir de situations dangereuses et transporter dans des zones sûres, les instructeurs jouent eux aussi les victimes qu’il faut soigner. L’utilisation de sang de porc pour simuler de grandes blessures permet de rendre la guerre non seulement audible et visible, mais aussi odorante. Dans le feu de l’action, l’illusion est oppressante.
Avant de passer à des scénarios réalistes, les participants reçoivent de Bernhard Mautner une instruction théorique sur la manière de sauver des vies, fondées sur des connaissances techniques et des décennies d’expérience militaire. Parfois, des explications médicales précises sur le pneumothorax soient suivies de phrases telles que : «Si des anses intestinales pendent, elles ne doivent pas se dessécher».
Les premières plaies sont de fausses plaies en silicone bouchées avec de simples gazes, puis on passe à du vrai sang et des pansements hémostatiques. Comme le dit Bernhard, «si vous avez un trou, vous le bouchez». C’est ainsi que l’on se rapproche peu à peu des conditions de guerre telles qu’elles prévalent en Ukraine.
«Vous n’êtes pas censés jouer au docteur»
Ce sont justement les expériences du journaliste Raimond Lüppken en Ukraine qui sont à l’origine de ce cours. Il s’est entretenu avec de nombreux soldats et médecins : «L’une des premières questions qui m’a été posée à chaque fois était de savoir si je pouvais me soigner moi-même.» Lors de ses deux derniers séjours en zone de guerre, il devait répondre par la négative. Une fois rentré en Suisse, il a donc décidé de mieux se préparer pour sa prochaine mission. Il est tombé sur la vaste offre de cours de secourisme proposée par Bernhard Mautner, qui ne proposait toutefois encore rien pour les reporters de crise. Un téléphpone a suffit à convaincre l’instructeur. En quelques semaines, Bernhard a conçu un programme sur mesure avec ses collègues.
Durant le cours, Bernhard ne cesse d’insister : «Votre mission en zone de guerre est de faire des reportages. Vous ne devez pas jouer au médecin. L’IFAK est avant tout destiné à vous-mêmes.» Mais Raimond est rassuré à l’idée d’être préparé à une situation d’urgence et de pouvoir aider son compagnon. Dans l’idéal, ni lui ni moi n’aurons jamais à mettre en pratique ce que nous avons appris.
Après deux jours éprouvants mais extrêmement intéressants, nous quittons la zone de guerre fictive de Trübbach avec un certificat de TCCC (Tactical Combat Casualty Care) et de TEMS (Tactical Emergency Medical Support) valable deux ans.
Texte et images: Dario Veréb et Raimond Lüppken
Aide tactique d’urgence pour les journalistes en situation de crise
Durée de la formation : 2 jours à 8 heures
Coût du cours : CHF 740,- (pour les membres du SSM CHF 540,-)
Pour plus d’informations : www.nothelferkurs.li/taktische-nothilfe-krisenreporter-innen