Il a 33 ans, il est journaliste, il est kurde. Il exerçait son métier en Turquie jusqu’à l’année passée. Mehmet Ferhat Çelik est aujourd’hui réfugié en Suisse. En novembre 2022, le Fonds de soutien et de solidarité de RSF Suisse a décidé de le soutenir financièrement pour lui permettre, dans la mesure du possible, de continuer à exercer son métier de journaliste.

Il était le rédacteur en chef du journal pro-kurde Yeni Yasam – qui veut dire Nouvelle vie. Comme celle de beaucoup de ses compatriotes, sa situation était difficile et surtout dangereuse. En 2020, il a été arrêté en compagnie de cinq autres journalistes et placé en détention pour cinq mois.

Prétexte fallacieux

Les six journalistes étaient poursuivis pour avoir prétendument divulgué l’identité d’un agent des services secrets turcs. Et donc compromis la sécurité de l’Etat. En réalité, la divulgation était antérieure et n’était pas le fait des médias. Le nom de l’agent avait été cité lors d’un débat au Parlement.

« On n’arrête pas des gens pour cela. Ce n’est pas nous qui avions révélé cette identité. Mais j’ai compris que j’allais être arrêté quand j’ai appris que le président Recep Tayyip Erdogan, dans l’avion qui le ramenait de Moscou où il avait rencontré Vladimir Poutine, avait déclaré à plusieurs journalistes que les auteurs de ces articles devaient être mis en prison. »

RSF avait dénoncé le prétexte fallacieux de ces incarcérations. Mehmet Ferhat Çelik n’en a pas moins été condamné à quatre ans et huit mois de prison. Il a alors choisi de fuir son pays. Il est arrivé en Suisse le 19 novembre 2021 et a pu obtenir l’asile. Il vit aujourd’hui à Zurich.

Médias mis au pas par le régime

Son parcours est emblématique de la situation de la liberté de la presse en Turquie. Le pays occupe le 149e rang sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse publié chaque année par RSF. Pratiques discriminatoires, procédures bâillons, peines de prison massives pour les journalistes sont courantes dans un pays où les médias, dans leur écrasante majorité, ont été mis au pas par le régime de Erdogan. Ces dernières années, plusieurs journalistes ont payé de leur vie l’exercice de leur métier, mais ces crimes restent souvent impunis.

La situation est particulièrement délicate pour les journalistes kurdes. « Les journalistes turcs peuvent difficilement se rendre dans les régions kurdes, note Mehmet Ferhat Çelik. Mais pour les journalistes kurdes qui y travaillent, le danger est permanent, les arrestations quotidiennes. J’en avais déjà subi plusieurs dans les villes kurdes où je me rendais comme journaliste. »

« Nous parlons de crimes de guerre »

Le régime essaie ainsi de réduire les médias au silence sur des sujets sensibles. « Nous parlons de crimes de guerre commis par la Turquie. C’est nous qui avons parlé en premier du massacre de Roboski. Pendant une journée, rien n’a paru dans le reste des médias turcs. » Le 28 décembre 2011, l’aviation turque bombardait les alentours du village de Roboski, à la frontière irakienne, tuant 34 civils dont 19 mineurs.

Avant de collaborer à Yeni Yasam, Mehmet avait travaillé plusieurs années pour des agences de presse, passant par la bien connue Mezopotamya et par Dicle News. En quittant son pays, il a dû abandonner de fait la direction de son journal même s’il en reste officiellement le rédacteur en chef. Mais il continue à s’y impliquer quotidiennement, échangeant avec ses collègues sur place, réagissant à l’actualité, proposant des sujets. « C’est dur, mais je m’accroche. Je fais également des efforts pour m’intégrer ici, j’apprends l’allemand. »

« Depuis les élections locales de 2019, la spirale de violences visant les journalistes critiques vis-à-vis de l’alliance gouvernementale (AKP-MHP) n’a eu de cesse de se renforcer. Alors que les élections de 2023 approchent, des groupes ultranationalistes, encouragés par les discours politiques contre la presse, s’en prennent, en pleine rue, aux reporters, éditorialistes, commentateurs ou journalistes citoyens qui couvrent des affaires politiques et évoquent la crise économique .» Classement mondial de la liberté de la presse de RSF

Denis Masmejan, secrétaire général RSF Suisse

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