Editorial

Cette newsletter vous a tenus régulièrement informés de la situation de la liberté de l’information en Suisse (photo Keystone-ATS) et des restrictions qu’elle peut subir dans un pays pourtant bien noté par le Classement mondial de la liberté de la presse publié chaque année par RSF.

Cette année, la Suisse a tout de même reculé de la 10e à la 14e place. Certaines particularités des lois suisses et de leur évolution récente n’y étaient pas étrangères. Il y a eu le vote du Parlement fédéral pour durcir les mesures provisionnelles qu’un juge civil peut prononcer pour bloquer la parution d’un article. Mais aussi l’application de la loi sur les banques aux journalistes pour les empêcher de publier des informations issues de données bancaires volées. Et, bien sûr, le référendum qui a bloqué le renforcement de l’aide publique aux médias.

Mais voici qu’une nouvelle ombre risque d’apparaître. Le mois dernier, le Département fédéral de la défense a mis en consultation un projet de révision de la loi sur le renseignement. Il aura fallu une lecture très minutieuse du projet par le Tages-Anzeiger pour y déceler l’abrogation d’un alinéa important pour les journalistes, tout comme pour les médecins et les avocats.

Aujourd’hui, le service de renseignement ne peut pas soumettre à des mesures d’investigation secrètes les contacts d’une personne surveillée, lorsque ces contacts appartiennent « à l’un des groupes professionnels visés aux art. 171 à 173 » du Code de procédure pénale, soit les personnes qui, en raison de leur activité professionnelle, ont le droit de refuser de témoigner.

Les journalistes sont donc concernés. Pourquoi la ministre de la Défense Viola Amherd et son nouveau chef du renseignement Christian Dussey veulent-ils supprimer cette clause ? Quels changements précis une telle modification entraînerait-elle par rapport à la pratique actuelle ? Le rapport explicatif joint au projet ne fournit pas de réponse claire, pas davantage que les explications évasives de la porte-parole du SRC citée par le Tages-Anzeiger.

Les défenseurs de la liberté de la presse ne peuvent pas accepter que les journalistes soient surveillés à l’avenir par le service de renseignement uniquement parce qu’ils sont en contact avec des personnes qui, elles, intéressent le service de renseignement, même de manière parfaitement légitime. Un tel scénario constituerait une atteinte majeure au secret des sources. Le flou du rapport explicatif sur une question d’une telle portée aussi bien pour la liberté de l’information que pour d’autres libertés inaliénables dans une société démocratique –  le secret professionnel des avocats et des médecins en particulier – est aussi inquiétant qu’inadmissible.

Denis Masmejan, secrétaire général RSF Suisse

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